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Le nouveau vaudeville

Très régulièrement, des sociologues se penchent sur l'Internet pour prédire tout le mal que ce nouvel objet va causer dans notre société. Plutôt que d'essayer de discerner les implications sociales d'un tel bouleversement, des gens aussi sérieux que Philippe Breton ou aussi connus que Dominique Wolton6.1 semblent préférer se concentrer sur les influences à leurs yeux négatives qu'a eues l'Internet sur l'ancienne société.

Un sociologue en retard

C'est un travail de paléontologue, pas de sociologue. Certes la paléontologie est passionnante, mais c'est un autre métier. Pourtant, en écoutant en février 2001 une conférence de Philippe Breton sur son dernier ouvrage6.2, j'ai eu l'impression d'avoir un paléontologue devant moi en lieu et place du chercheur en sociologie et professeur à la Sorbonne annoncé.

Selon Breton, il existe un réel besoin de débat social autour de l'Internet et de ses usages comme autour de toute nouveauté technique. Un débat rendu pourtant impossible parce que les thèses en présence sont d'un côté la béatitude, de l'autre le rejet viscéral ; l'une comme l'autre venant de personnes qui ne sont pas en état d'accepter la contradiction. Les premiers font de l'Internet l'objet d'une idolâtrie qui les conduit tour à tour à affirmer son irréversibilité pour des raisons mystiques (réunion du genre humain, fusion des esprits, village planétaire) ou financières (il y a trop d'argent en jeu pour débattre de la possibilité qu'il disparaisse). Les seconds sont des technophobes qui rejettent en bloc l'outil tel qu'il est présenté, notamment en raison de cette inéluctabilité contenue dans le discours publicitaire.

À partir de sa spécialisation en sociologie de la communication et de ses diplômes, Philippe Breton prétend, lui, creuser une troisième voie, critique mais raisonnable, de l'outil et de ses applications en dehors de toute idolâtrie. Une voie qui permettrait enfin de sortir l'Internet de l'idéologie libertaire - dont il affirme qu'elle domine - et qui lui semble dangereuse parce que étant utopique, elle amène à des comportements contre-productifs dans l'usage même de l'outil. Une voie qui dans le même temps démontrerait que l'Internet peut être régulé de manière à limiter son aspect mondialisateur, en y rétablissant des frontières fût-ce au prix de quelques limites à une liberté d'expression bien galvaudée, selon lui.

On serait tenté d'applaudir des deux mains ce discours séduisant si l'on n'avait pas déjà lu un précédent ouvrage du même auteur, La Parole manipulée6.3, dans lequel il étudie justement les techniques de manipulation d'un auditoire. Or, ces techniques qu'il dénonce comme dangereuses lorsqu'elles sont utilisées dans la communication politique, il en déploie un bon nombre lorsqu'il s'agit pour lui de convaincre son auditoire d'un soir. À croire qu'il n'est pas capable de s'appliquer la rigueur minimale qu'il exige des autres.

En fait, son discours est fondé sur un mensonge par omission, très certainement volontaire de la part d'un auteur qui a déjà beaucoup écrit sur le sujet, et sur un artifice rhétorique de bas étage. Et quoi que je puisse penser de lui par ailleurs, car je respecte énormément l'auteur de La Tribu informatique6.4, ce soir-là il fut l'archétype du sociologue trop imbu de ses propres opinions pour décrire la réalité.

Pour commencer, Breton omet de préciser que si l'Internet est inéluctable, c'est pour d'autres raisons que celles qu'il dénonce comme des mensonges (et qui en sont). En fait, il choisit de ne citer que ce qu'il sait pouvoir dénoncer. Quand il affirme, notamment, que l'Internet fait l'objet d'un discours quasi religieux, il oublie de préciser que cela ne concerne que quelques illuminés surmédiatisés. Leur écho dans la société ne s'explique que par ces médias racoleurs en mal de sensationnalisme dont Philippe Breton semble tirer toutes ses informations. Et quand il prétend qu'on ne peut pas occulter un débat de société sous prétexte que les enjeux financiers seraient énormes au point de rendre l'Internet intouchable, il a raison. Cet argument est loin d'être le seul qui démontre l'inéluctabilité d'un réseau d'expression public sans frontières qui permet surtout la concrétisation de l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme: «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.» Comment, justement, le seul outil qui permette enfin l'exercice de ce droit-là pourrait-il être régulé au moyen de frontières artificielles? Philippe Breton n'en parle pas. Étrangement d'ailleurs, il n'utilise jamais le mot «expression». Il ne parle que de «communication». C'est moins risqué sans doute.

En mettant en exergue ces deux seuls arguments pour étayer sa thèse, Philippe Breton se révèle pour ce qu'il est, un aveugle. Que penserait-on aujourd'hui d'un homme de Neandertal expliquant à ses contemporains que le feu est un «simple outil de plus qui simplifie des tâches préexistantes et qu'il faut considérer comme tel et comme rien d'autre», comme il l'affirme sans rougir en parlant de l'Internet? Comme si l'existence d'un tel outil n'avait eu d'autres conséquences sur la société. Philippe Breton ne s'adresse pas à un public averti, il parle à des gens qui n'ont ni la formation ni les compétences techniques pour voir les failles de son discours. Chez quelqu'un qui a étudié les techniques de communication et qui sait très bien ce que représente l'Internet, il ne peut s'agir que d'une réelle volonté de manipulation.

Ce que Philippe Breton ne dit pas, c'est que si l'Internet est incontournable, c'est aussi parce qu'il répond à un besoin social et structurel. Loin de la «communication» ramenée à un dialogue (le courrier électronique) ou à la diffusion de masse (le Web) que Philippe Breton décrit, l'Internet propose des outils (les listes de discussions publiques ou privées, les forums publics...) permettant à des groupes humains partageant des passions communes de se rencontrer. Des outils dont aucun équivalent n'existait auparavant. Comment aurais-je pu faire la connaissance d'amis d'âge, de culture, d'origine et de langue différents des miens sans l'Internet? Certes, ces rencontres sont d'abord virtuelles, mais elles ne le restent jamais bien longtemps.

Par ailleurs, la somme des connaissances de l'humanité a atteint un tel niveau qu'il est évident pour toute personne un tant soit peu honnête qu'un nouvel outil était indispensable pour assurer leur diffusion. L'Internet a été créé pour ça: tout y est fondé sur le partage du savoir. La logique même du Web et l'importance innovatrice des liens hypertextes, qui créent une «troisième dimension» à la lecture en permettant d'enrichir un texte sans limites, induisent des nouveautés totales dans ce domaine. Or, l'homme est un animal dont toute l'évolution sociale s'appuie sur la diffusion du savoir. Sans un outil comme l'Internet, cette évolution sociale serait dans une impasse.

Que Philippe Breton affirme que l'Internet est un simple avatar des vieilles ronéos montre à l'évidence qu'il passe à côté d'un phénomène sans précédent dans le domaine de la communication. Non, l'e-mail n'est pas une ultime forme du courrier postal. Non, le Web n'est pas équivalent à l'édition papier. Non, les forums de discussions ne sont pas des salles de réunion. Il n'est guère besoin d'une grande démonstration pour affirmer que ces outils-là, entre autres, ont déjà des effets sur notre quotidien. Ils changent notre vision du monde, nos usages, nos habitudes.

Même d'un point de vue technique, tout débat sur la pérennité d'un Internet sans frontières est vain puisque, quoi qu'il arrive, il sera toujours possible de se connecter à toute sorte de sites, ne serait-ce qu'en passant par un fournisseur d'accès étranger. À moins de rendre notre pays hermétique à toute communication hertzienne, satellitaire ou filaire, l'Internet ne peut être ni fermé ni filtré efficacement.

Mais, si l'Internet est inévitable, un débat consacré à ses usages et à son influence sur la société est parfaitement légitime. Là où Breton a foncièrement tort, c'est quand il affirme qu'il n'est pas trop tard pour décider de la place à faire à l'Internet. Philippe Breton est chargé de recherche au CNRS et professeur à la Sorbonne. En tant que tel, il est écouté et il a donc une responsabilité morale et sociale. Amalgamer, comme il le fait, le discours de quelques fous sympathiques à celui qui présente l'Internet comme porteur d'une évolution sociale d'envergure revient à modifier de fait les usages futurs de l'Internet en déformant et en affaiblissant l'importance sociale de cet outil.

À l'instar de la publicité télévisée des fournisseurs d'accès, qui tend trop souvent à présenter l'Internet comme un simple gadget de plus, Philippe Breton minimise l'importance d'un réseau d'information mondial. Et c'est grave. En usant du mensonge et du mépris, pour démontrer que l'Internet n'est «qu'un outil de communication de plus, dangereux parce que trop de communication tue la communication», Philippe Breton contribue à créer une fausse image médiatique de l'Internet.

C'est qu'il défend son pré carré. En vérité, la parole rendue aux simples citoyens, qui n'ont ni chaire ni éditeur pour pouvoir s'exprimer, lui fait peur. Il craint de perdre sa part du monopole de la parole publique, un monopole dont il vit, qui lui permet d'être écouté, publié, entendu. Lui et pas ceux qu'il dénonce, ces «libertaires aveugles qui font inconsciemment le jeu du marché». Philippe Breton ne s'arrête pas là, en surévaluant le discours de quelques illuminés, il feint d'ignorer que les discours extrémistes ne sont le fait que d'une minorité. Et il n'hésite pas à tordre les paroles d'autres sociologues dans le sens qui l'arrange pour valider ses thèses. Mais l'argument d'autorité est vieux comme la rhétorique, et il le sait mieux que personne.

Lorsque l'on s'étonne devant lui qu'un chercheur en sociologie se contente de critiquer le discours sur l'Internet plutôt que les usages qui en sont faits, il répond que la difficulté à trouver des financements l'incite à en rester là. En somme, Philippe Breton avoue être un scientifique qui, n'ayant pas les moyens de mener des recherches dignes de ce nom, se contente de publier des textes polémiques s'appuyant sur des paroles entendues çà et là. Du coup, quand il parle de l'Internet, Philippe Breton se décrédibilise totalement. Mais, après tout, il n'est pas le seul.

Autiste, forcément autiste

Ainsi, depuis plusieurs années, je lis des analyses qui m'expliquent comment l'outil que j'utilise va, jour après jour, me rendre un peu plus autiste. Mon avenir est quasiment celui d'un idiot décérébré qui, utilisant un média dont les contenus n'ont pas été filtrés par des journalistes professionnels, va se mettre à croire que la terre est plate. Pire encore, en tant que membre d'une tribu désormais dépassée - les informaticiens -, il va me falloir admettre que l'outil libertaire qui préexistait à l'Internet marchand est mort, et moi avec. J'ai bien peur que ces fins analystes ne se trompent.

Lorsque Philippe Breton s'interrogeait (dans une tribune dans Libération en décembre 1997) sur la question récurrente du «repli sur soi dû à la séparation physique entre les êtres inhérente à l'existence du réseau», je me voyais, moi, communiquer via l'Internet avec toutes sortes de gens, de tous pays, dont je n'aurais jamais pu croiser la route sans l'Internet. Comment peut-on alors s'interroger, comme Dominique Wolton s'y emploie dans son livre, sur la question de savoir si l'Internet constitue un progrès social, au moins dans le domaine de la communication?

Évidemment, l'Internet est un progrès social. Je ne vois même pas l'intérêt d'en débattre. On peut aussi bien se demander si l'invention du feu a été un progrès social et y trouver des millions d'inconvénients. Mais quel intérêt cela présente-t-il, à part celui, bien réel mais souvent vain, de provoquer le public pour le faire réfléchir? Je veux bien croire que je suis un type exceptionnel - en fait j'en suis sûr - mais il me faut bien constater que je suis alors très loin d'être le seul.

Grâce à l'Internet, j'ai pu rencontrer (et dans la vraie vie) des gens passionnants qui sont devenus autant de nouveaux amis. Et des emmerdeurs qui sont devenus autant de nouveaux ennemis que je préfère ne pas rencontrer du tout. En utilisant cet outil pour y exprimer mes propres opinions et les confronter à celles d'autrui, j'ai pris conscience que mes opinions sont tout aussi valables que celles de n'importe quel autre être humain, aussi dignes d'être écoutées et débattues, pour peu qu'elles soient un peu originales. Rencontrer des gens, créer des associations, agir sur la société (physique) qui m'entoure..., il ne me semble pas que ce soit le comportement d'un autiste moderne.

Et il y a nombre d'internautes actifs qui utilisent l'Internet pour s'exprimer et pas seulement pour y chercher de l'information. Certes ils sont encore une minorité parmi ceux qui disposent aujourd'hui d'un accès à ce réseau (et qui sont eux-mêmes une minorité par rapport à l'humanité entière), et j'en tiens justement pour responsables les discours aussi débilitants des commerciaux et de tous ceux qui veulent conserver pour eux la parole publique. Mais après tout, cet Internet n'a que cinq ans et rares sont ceux qui ont eu le temps d'en découvrir tous les arcanes, on l'oublie un peu trop souvent. Je fais cependant assez confiance à mes contemporains pour croire qu'eux aussi, de plus en plus nombreux, découvriront les usages qu'ils peuvent faire de la liberté d'expression, du débat sans frontières nationales ou sociales et de la confrontation de leur propre opinion à celle d'autrui. Tout sauf le repli sur soi.

À ce sujet, vous n'êtes pas obligé de me faire confiance mais peut-être alors croirez-vous des anthropologues, américains, qui ont mené une étude6.5 très intéressante sur quatre cent cinquante foyers informatisés. Ils ont constaté que, loin de détruire le lien familial, les nouvelles technologies recréaient de nouveaux usages et de nouveaux liens fondés, entre autres, sur l'usage intensif de l'e-mail (qui, du fait d'une liaison constante entre les enfants, fait disparaître le rôle de la mère comme «lien central»). En résumé, le lien familial sort renforcé, bien que transformé, de l'usage des nouvelles technologies. Ce qui est surprenant, c'est qu'il ait fallu une étude pour vérifier qu'un nouveau moyen de communication crée de nouveaux genres de communication... Ce qui m'étonne le plus c'est que des sociologues puissent penser que l'usage d'un moyen de communication peut faire disparaître le besoin des contacts humains.

En dehors de quelques pitoyables tentatives d'imaginer de prétendus Robinson du Net qui pourraient, à l'instar des participants de «Loft Story», vivre sans aucun rapport à la société autre que médiatique (et en oubliant qu'ils se nourrissent d'autre chose que de leur seule célébrité), qui peut encore croire que l'Internet peut faire disparaître le rapport physique entre les humains? Vous pensez pouvoir vivre sans avoir à sortir de chez vous parce que vous feriez tout sur l'Internet? Certes, vous pouvez travailler, commander un repas et faire connaissance avec des inconnus sans avoir à sortir de chez vous. Mais qui va vous embaucher sans vous avoir physiquement rencontré? Quel est le livreur de pizzas qui va vous livrer sans sonner à votre porte? Quel inconnu ne voudra pas, à un moment ou à un autre, vous voir en vrai devant une table avec une vraie bière posée dessus? Le travail à domicile se développe via l'Internet, et ce serait la fin des relations sociales?

Sérieusement, est-ce que les chercheurs qui affirment ce genre d'inepties se sont, un jour, penchés sur le type de relations sociales existant au bureau? Est-ce que discuter de «Star Academy» pendant dix minutes autour de la machine à café crée plus de lien social qu'un débat par écrit avec des inconnus finalement tout aussi étrangers que les collègues qu'on côtoie toute l'année? Est-ce qu'il ne vaut mieux pas croiser dans un forum virtuel des gens de conditions sociales différentes, qui habitent dans des lieux différents?

Travailler à domicile serait déstructurant. J'engage donc nos professeurs en sociologie à cesser de corriger les copies de leurs élèves chez eux. Qu'ils fassent plutôt ça sur leur lieu de travail s'ils ne veulent pas être déstructurés. C'est très dangereux la correction des copies, si on fait ça chez soi. Il y a bien sûr des dangers dans le travail à domicile, des dangers essentiellement sociaux: des salaires en baisse, des syndicats plus difficiles à créer, un temps de travail plus délicat à évaluer, une exploitation plus grande des salariés qui ne peuvent pas aisément refuser de travailler à n'importe quelle heure. Mais le danger de perdre la notion de la relation physique avec l'autre, où est-il? Ceux qui craignent que l'Internet ne rende les gens autistes ont-ils encore conscience qu'ils parlent d'êtres humains? De singes un peu évolués, qui aiment le contact physique et qui n'ont tout simplement pas envie de devenir autistes.

Et si les autistes n'étaient pas ceux que l'on croit?

Enfin un média libre!

Quant à savoir si l'Internet est dangereux parce qu'il est un «média sans médiateur», je veux bien. Il est évident qu'on y trouve le pire et le meilleur. La preuve, c'est qu'on y trouve ce livre! De là à écrire, comme Dominique Wolton, «qu'on n'a pas envie de se transformer tous les matins en rédacteur en chef6.6», il y a un pas que je ne franchirai certainement pas. Même si on n'a pas toujours envie de jouer au «rédac-chef», qui ne souhaite pas au moins essayer? Aujourd'hui, l'Internet nous donne ce pouvoir et change la nature des rapports sociaux. C'est le rôle du sociologue que d'analyser ce changement, sûrement pas de le déplorer.

C'est vrai, la notion de choix ou de filtre éditorial n'existe pas (ou peu) sur l'Internet. Même si vous avez choisi de ne lire que les documents présentés sur la page d'accueil de votre fournisseur d'accès, les liens hypertextes qu'il présente vous conduiront à des documents qui n'auront été choisis par personne d'autre que vous. Sur l'Internet, n'importe qui peut donc publier n'importe quoi et, du point de vue du consommateur de contenus, il devient difficile de s'y retrouver car il y a d'autant plus besoin de médiation qu'il existe de contenus. Le rôle du filtre éditorial consistant à sélectionner l'information en fonction d'un lectorat connu (ou ciblé) est devenu vital. Seulement voilà, cela soulève (au moins) deux questions: d'abord, est-ce que l'existence d'un journaliste (le médiateur) suffit à garantir qu'une information diffusée est vraie? Ensuite, et même si vraiment l'«Internet est une idéologie», on ne peut, comme le fait pourtant Breton, élaborer une telle théorie tout en négligeant son importance dans l'application concrète de l'article 19 de la Déclaration des droits de l'homme. Oui, il est difficile de trouver «le vrai» sur l'Internet, mais il est important de préserver la liberté fondamentale qu'il permet (enfin) d'exercer.

À lire Wolton, je croyais retrouver Guizot en 1847 qui expliquait, lui, que le peuple n'avait pas envie de se transformer en corps électoral et qui combattait le suffrage universel en affirmant: «Il n'y a pas de jour où toutes les créatures humaines, quelles qu'elles soient, puissent être appelées à exercer des droits politiques» (de mémoire). La défense de nos droits fondamentaux est un perpétuel recommencement. Comme il a fallu éduquer les citoyens à l'exercice du suffrage universel, il faudra dans un futur proche généraliser l'apprentissage des techniques de recherche et de documentation dans un monde où les contenus deviennent accessibles instantanément à tout un chacun. Serait-il impossible d'imaginer un monde adulte dans lequel chacun pourrait décider de ce qu'il veut apprendre et de la manière dont il veut l'apprendre?

Réfléchir à ces changements et aux moyens de les accompagner devrait être le rôle de nos sociologues qui aujourd'hui préfèrent, comme Philippe Breton dans L'Utopie de la communication6.7, s'en prendre aux informaticiens qui osent mélanger technique et éthique. Ces derniers sont forcément décrits comme des «pseudo-libertaires sans culture politique qui font le jeu du libéralisme le plus débridé au nom d'utopies naïves». Il leur importe sans doute peu que beaucoup de ceux que je connais soient très politisés, aient lu Debord, se définissent comme des trotskistes ou des situationnistes et soient capables de citer Marx de mémoire (ce qui n'est pas mon cas).

Si ces sociologues faisaient mieux leur travail, une technique qui nous transforme dans notre vie quotidienne pourrait ainsi devenir autre chose que le simple enjeu de pouvoir et d'argent qu'elle est encore. Si les enjeux de la transmission directe de documents par e-mail, court-circuitant toute forme de hiérarchie, étaient analysés un peu plus intelligemment par les sociologues surmédiatisés, peut-être que chacun pourrait en prendre conscience. Si les chercheurs s'intéressaient davantage au fonctionnement coopératif des forums de discussion publics, peut-être s'apercevraient-ils qu'ils préfigurent un mode de fonctionnement de la société de demain. Et s'ils s'abonnaient à quelques listes de discussion, peut-être comprendraient-ils comment les partisans des logiciels libres ont pu rencontrer des membres d'Act-Up pour combattre ensemble les brevets tant dans le domaine des logiciels que de la biologie, parce que leurs motivations sont identiques. Mais qui accomplit ce travail de fond, aujourd'hui?

Pourquoi tant de haine?

Dans un article publié sur le site uzine.net6.8, Mona Cholet propose une explication aux réticences envers l'Internet des sociologues établis. Selon elle, ces universitaires adoptent une telle pose, d'une part, pour des raisons autopromotionnelles - il est si facile de faire parler de soi en rejetant publiquement un objet aussi médiatique que l'Internet - et, d'autre part, par méconnaissance de leur sujet. Quand ils parlent de l'Internet, ils ne parlent pas de la même chose que nous.

Ils observent l'objet que décrivent les médias et les hommes politiques, c'est-à-dire des dinosaures soucieux de garder leur mainmise sur l'expression et le maximum de leur pouvoir. Ils évoquent un concept qu'ils ne connaissent que par ouï-dire. Ces sociologues font de l'Internet un outil inutile, mais inutile d'abord et avant tout pour ceux qui, comme eux, ont depuis longtemps l'oreille des médias et disposent d'une liberté d'expression qu'ils refusent d'accorder à d'autres. Si l'Internet est dangereux, c'est donc surtout pour eux.

La liberté d'expression pour tous serait un danger public. C'est bien là le fond du discours de ces critiques patentés. Mais qui est le plus dangereux? Ceux qui disent n'importe quoi sur l'Internet parce qu'ils le peuvent ou bien ceux qui disent n'importe quoi dans le Nouvel Observateur parce qu'ils sont connus? Je comprends que Françoise Giroud ou Dominique Wolton frémissent. Quand je lis les réactions de ceux qu'ils voudraient bâillonner, et qui sont à chaque fois des bijoux de précision, d'argumentation et d'intelligence, je comprends qu'ils aient peur. Peur qu'apparaisse la vacuité de leur réflexion au grand jour, peur d'être ridiculisés. Peur d'être des dinosaures.

Enfin, même si Philippe Breton me considère à son tour comme un dinosaure, informaticien autiste, pseudo-libertaire sans culture et qui fait sans le savoir le jeu d'un libéralisme sans frontières, je n'aurai vraiment l'impression d'être inutile que lorsque mon discours sur l'Internet sera devenu aussi manichéen que le sien. Lorsque j'aurai cessé de m'impliquer dans les combats que je mène avec d'autres au quotidien depuis sept ans pour défendre tout à la fois la conscience et la responsabilité de tous les intervenants, la liberté d'expression, la protection des données personnelles, la diffusion du logiciel libre, la disparition de la notion de brevet dans le domaine des créations immatérielles et la formation de tous les citoyens, y compris les plus défavorisés, aux usages des outils informatiques. Et je continuerai toujours, j'espère, à être d'une certaine utilité dans le combat contre tous les autres dinosaures, sociologues médiatiques inclus, qui veulent détruire l'Internet ou le transformer suffisamment pour qu'il cesse de changer la société dans une direction qui les rend, eux, inutiles.

Les cocus de l'Internet

Puisque les sociologues établis ne veulent pas faire leur boulot, c'est donc à nous, simples citoyens, qu'il revient d'imaginer, entre autres changements6.9, le futur d'une société où chacun peut à tout instant communiquer par des écrits privés avec n'importe quel être humain lui aussi connecté au réseau, sans aucun risque d'être lu par un tiers pour peu qu'il dispose d'une adresse électronique strictement personnelle.

À ce sujet il peut être intéressant de réfléchir à ce que je nomme la deuxième loi de Chemla (permettez-moi de garder la première pour mon usage strictement personnel). Si quelqu'un que vous essayez de séduire fait deux réponses différentes au même passage de l'un de vos e-mails, vous pouvez lui donner un rendez-vous le soir même dans le restaurant de votre choix. D'accord, c'est de la psychologie de bazar. Il n'empêche, ça marche bien, et quelques maris vont s'apercevoir un jour que l'accès à l'Internet amoureusement offert à leur femme lui permet parfois d'échapper à la sphère conjugale. Je n'invente rien, cela arrive de plus en plus souvent et j'en ai moi-même été le témoin (sinon la victime) au moins à deux reprises...

En amateur de sociologie à peine éclairé, j'ai cru y déceler un système social émergent qui pourrait bien révolutionner notre société et dont ma «deuxième loi» n'est qu'un élément. Il s'agit de la SPMP, pour sphère privée monopersonnelle permanente. Que vous viviez seul ou en couple, en famille ou non, vous avez désormais, grâce à l'Internet, un petit espace réservé, qui vous est unique et auquel nul autre que vous ne peut avoir accès facilement. Vous pouvez avoir des confidents dont personne dans votre entourage physique n'entendra jamais parler. Un journal intime n'est lu par personne d'autre que son auteur, mais, sur l'Internet, vos fantasmes les plus fous intéresseront toujours quelqu'un, quelque part, qui sera prêt à vous lire à n'importe quelle heure et sans se répandre plus tard sur votre vie privée. Vous pouvez avoir de nouveaux amis qui ne vous connaîtront que par vos écrits et qui ne porteront sur vous aucun jugement, ni sur votre statut social ni sur votre physique ni sur votre entourage. Vous pouvez aussi trouver sur l'Internet des gens que vous n'auriez jamais rencontrés autrement et dont vous pourrez comparer le discours à celui de vos proches, au risque parfois de vous apercevoir que vous n'êtes pas aussi heureux que vous le pensiez. Et jamais, si vous n'en parlez pas, nul ne le saura autour de vous. Jusqu'au jour de la rencontre «en vrai», qui arrive bien plus fréquemment que ne le pensent nos sociologues et qui, souvent, permet des moments extraordinaires. D'ici là, toutes vos discussions se tiendront dans votre petite SPMP à vous à laquelle vous seul avez accès.

Le 13 décembre 2000, Le Monde s'est ainsi intéressé à un site, livejournal.com, qui est une bonne illustration de ma SPMP. Ce site regroupe plusieurs centaines de milliers de journaux intimes mis en ligne par leurs rédacteurs et traitant d'à peu près tous les sujets, du Rocky Horror Picture Show à l'automne, en passant par les chocolats. Autour de ces thèmes peuvent se créer des communautés virtuelles assez complexes puisque chaque rédacteur peut choisir le niveau d'intimité auquel peut accéder tel ou tel lecteur. Chacun est donc libre de définir le contenu de sa sphère privée et ceux qui y ont accès. Tout le contraire du monde réel où personne n'est à l'abri d'une indiscrétion.

Une personne qui utilise l'Internet indifféremment au bureau ou chez elle (et bientôt dans le métro, dans le train ou n'importe où) pour correspondre en permanence avec des relations dont l'existence même est totalement inconnue de son entourage vit dans une société toute nouvelle. Personne n'a jamais connu ça. On pouvait toujours écrire à son amant ou à sa maîtresse, au risque que la lettre soit réceptionnée par son mari ou sa femme. On pouvait lui téléphoner, au risque que le conjoint ne découvre le pot aux roses en surveillant de trop près la facture de téléphone. Il fallait donc se cacher, vivre dans la crainte d'être découvert. Avant l'Internet, comment pouvait-on avoir des relations, même épistolaires, avec n'importe qui sans que l'entourage n'en ait rapidement connaissance (à moins de vivre seul et sans entourage et de ne cultiver des relations qu'avec des personnes dans la même situation)?

L'Internet offre à chacun un territoire où se replier sur ses passions, ses envies, ses désirs d'apprendre et de découvrir à son propre rythme. Un territoire dont la seule limite est le temps que l'on peut libérer pour l'étendre - rendant ainsi les heures encore plus précieuses et le temps passé à rechercher une information insupportable quand il excède quelques minutes. Pourtant, sans l'Internet, la même recherche prendrait certainement plusieurs jours. Un territoire intime au point que toute intrusion (traçage, fichage, «cookies» ou piratage) nous semble une scandaleuse atteinte à notre vie privée bien plus dangereuse que tous les flicages du monde réel.

Même le Minitel, qui restait limité à un usage familial n'avait rien permis de tel. Là encore, la facture de téléphone pouvait tout dévoiler: il était difficile de se cacher ou d'écrire du bureau et, surtout, les échanges étaient limités par la technique à de pathétiques équivalents de nos SMS modernes. Sur l'Internet, il est très simple de disposer d'une adresse électronique privée, fournie gratuitement dans la très grande majorité des cas. L'équivalent d'une boîte postale privée dont le courrier vous est automatiquement délivré, à vous et à nul autre, où que vous soyez dans le monde. Sur l'Internet, vous pouvez disposer non seulement de cette boîte postale mais aussi de votre propre espace d'expression publique, équivalent à un journal diffusé à des milliers d'exemplaires, accessible par n'importe qui n'importe où dans le monde, et dont même vos proches ne pourront deviner que vous en êtes l'auteur si vous voulez le leur cacher. Ce qui n'empêchera pas tous vos lecteurs de vous faire part de leurs réactions par courrier électronique. C'est d'ailleurs bien souvent ainsi que débutent les échanges les plus passionnants... Et, parfois, passionnels.

Une révolution se prépare. Pas une révolution économique, non, celle-là aurait eu lieu avec ou sans l'Internet, la mondialisation était en route bien avant l'arrivée de cet outil. Mais une révolution sociale, qui va nous toucher de bien plus près que l'on ne peut l'imaginer. Le courrier électronique à lui seul est porteur de lourdes implications sociales comme tout outil de communication (notamment le téléphone portable dont nul n'a évidemment jamais osé dire qu'il n'aurait aucun impact sur notre vie quotidienne).

D'abord parce qu'il s'agit d'écrit et que celui-ci étant plus posé que la parole, ses implications sont plus grandes. On peut mener un débat animé en face à face. Mais les mimiques, le public, la seule présence physique peuvent apaiser une discussion. Rien de tout cela n'existe dans le dialogue écrit. Et du coup, rien ne peut calmer le débat. En outre, paradoxalement, sa quasi-instantanéité - il suffit d'appuyer sur une touche pour répondre quand on prend la mouche - en fait un outil presque aussi simple que la parole (pas besoin de timbrer, pas besoin d'aller poster, pas besoin d'attendre la réponse plus de quelques minutes). De fait, on oublie de se protéger lorsqu'on est dans l'instant, on écrit presque comme on parle, mais ces écrits-là restent aussi, comme tous les écrits, et ils peuvent être relus bien des années après leur rédaction. Combien de fois d'ailleurs m'est-il arrivé d'écrire un texte «juste pour moi», pour fixer mes idées, aider ma réflexion et, juste parce que la pulsion suffit, de l'envoyer à quelqu'un pour aussitôt le regretter?

Personne n'a, à ma connaissance, jamais imaginé une scène de ménage par fax interposé. Même dans ce cas, il faut encore former un numéro, glisser la feuille dans la machine et attendre que le fax distant réponde. La pulsion ne suffit plus, la raison l'emporte et le texte part à la poubelle qui était sa destination prévue à l'origine. Mais l'e-mail ne nécessite rien de plus que de pianoter sur son clavier et de cliquer sur sa souris, dans la foulée de la rédaction, sans avoir à se déplacer. Bien souvent, du coup, j'ai reçu des textes émouvants et leur auteur m'a dit, plus tard, qu'ils n'avaient pas été écrits pour être envoyés. Oui, une scène de ménage par e-mail, ça existe (si vous ne connaissez pas, ne riez pas, ça arrive souvent et ça vous arrivera aussi) et ça ne s'oublie pas sur l'oreiller. Les écrits restent, les «archives» sont là, on peut se les relire à tout instant. La seule comparaison possible serait d'imaginer un couple qui enregistre sur cassette audio chaque parole échangée lors d'une dispute et dont chacun des deux conserverait une copie. C'est possible, mais, somme toute, beaucoup plus rare...

Et puis l'écrit informatique, c'est aussi bien davantage que la mémoire. Si l'expression écrite est toujours plus réfléchie que l'oral, les difficultés qu'éprouvent certains à se servir d'un clavier amplifient encore plus cet état de fait. Chaque mot est pesé, chaque phrase réfléchie peut être corrigée, chaque paragraphe peut être effacé sans qu'il n'en reste aucune trace ni rature. Un message électronique commencé un soir peut être terminé le lendemain, relu, modifié.

C'est toute cette force de l'écrit, encore accrue par les moyens informatiques, qui vient d'un coup s'intégrer dans la vie du couple, dans les échanges entre amis ou entre collègues. La simple discussion animée autour de la machine à café se trouve reléguée au rang de manifestation folklorique. Il peut même arriver qu'un employé excédé envoie un message d'insultes ou de dénonciation à tous les membres de son entreprise, patron compris. Comment aurait-il fait, s'il l'avait osé, sans l'e-mail? Et quelles sont les conséquences d'un tel acte comparées à celles d'une crise de nerfs dont les seuls témoins sont de proches collègues?

La force de l'écrit et l'instantanéité ne sont pas les seules raisons pour lesquelles le courrier électronique est une révolution sociale. Dans la très grande majorité des cas, on n'utilise qu'une seule adresse électronique. Même quand on lit son e-mail au bureau et à la maison, il est courant de renvoyer l'un vers l'autre (ne serait-ce que parce que ça ne coûte rien et que c'est pratique). Alors qu'on avait l'habitude de séparer les échanges en fonction du lieu de réception, avec l'e-mail les espaces professionnel et privé sont mélangés. D'où des implications sociales car si l'on n'hésite pas à laisser un collaborateur ouvrir du courrier professionnel, il est rare qu'on laisse n'importe qui lire celui que l'on reçoit chez soi. En conséquence, il est très rare qu'un autre que son destinataire lise le courrier électronique. Et c'est nouveau. Quand vous écrivez une lettre à votre député, vous savez qu'elle sera lue par son secrétariat, et peut-être par un conseiller. Quand vous lui écrivez par e-mail, vous avez toutes les chances qu'il la lise lui-même. Parce qu'il reçoit par la même voie les messages de sa maîtresse, la plupart du temps. Et trouver l'e-mail de son député n'est pas la chose la plus difficile du monde, il suffit pour cela de visiter le site de l'Assemblée nationale...

Toute la structure hiérarchique de nos sociétés est susceptible de s'en trouver bouleversée, au moins temporairement. Quand l'humble employé du service de livraison peut envoyer par e-mail ses propositions de réorganisation au plus haut dirigeant de l'entreprise, qu'advient-il des petits chefs? Quand je peux écrire directement à un haut responsable de Suez pour lui dire qu'une de ses filiales se comporte mal avec ses clients, en sachant que c'est lui qui lira ma lettre, et pas un sous-fifre qui la classera dans le courrier destiné aux services commerciaux, que devient l'arrogance du patron de la filiale? En 1994, un journal américain a, par mégarde, publié l'adresse électronique de Bill Gates et, du jour au lendemain, le patron de Microsoft a reçu près de cinq mille messages quotidiens alors qu'il en recevait «à peine» deux cents avant cette mésaventure ; c'est bien la preuve que l'Internet tend à supprimer les intermédiaires. Mais les intermédiaires sont aussi les piliers de toute hiérarchie: quand il devient possible de joindre directement n'importe quel point d'une organisation, c'est l'ensemble de notre société qui passe de la verticalité à l'horizontalité.

Tout internaute débutant commencera par recevoir plus de publicités que de messages personnels, pour peu qu'il ait donné son adresse en public. Mais au bout de quelques mois, s'il utilise l'Internet pour donner son opinion, le nombre de lettres privées ne va pas cesser de s'accroître. Personnellement, après quelques années d'utilisation (certes intensive) de l'Internet, je reçois pas loin de cent messages privés par jour, et je suis très loin d'établir un record. L'email ne remplace pas le courrier papier. Il est très vite devenu autre chose. Il va sans doute faire disparaître le fax, à terme, oui, mais pas parce qu'il en est l'équivalent, il est bien davantage que cela. Il permet, grâce au développement rapide des systèmes de listes de discussion, de regrouper tous ceux qui souhaitent participer à un projet commun. C'est ce système qui a permis, par exemple, de mettre en place l'organisation, à l'origine totalement informelle, de l'association ATTAC pour contrer les projets de l'OMC, avec seulement un ordinateur et une liaison Internet. Les listes de discussion favorisent la création de puissants lobbies en dehors de toute médiatisation, le simple bouche à oreille (ou plutôt le simple e-mail à e-mail) suffit pour qu'en moins d'une journée, il soit possible de réunir plusieurs centaines de personnes. Une action susceptible de regrouper des représentants de plusieurs associations qui se découvrent un combat commun pour une durée limitée. Et ça aussi, c'est un phénomène nouveau dans nos sociétés.

L'e-mail est aussi l'outil rêvé pour faire des communiqués de presse en quelques minutes (pour trouver l'adresse d'un journaliste, il suffit d'aller sur le site de son journal). Cela permet à la plus petite association de répondre à des campagnes médiatiques soigneusement construites à coups de centaines de milliers d'euros par des gouvernements et des entreprises d'une tout autre envergure. Non, l'e-mail n'est pas cet outil anodin que décrit Philippe Breton. Il donne aux citoyens les moyens de prendre la parole et de se faire entendre du plus grand nombre. Ce bouleversement ne peut que s'accentuer quand, grâce aux techniques du câble, de l'ADSL et, très bientôt, de la boucle radio, chaque citoyen sera en permanence relié au réseau, avec un accès rapide et disponible à tout instant à sa «sphère privée monopersonnelle permanente».



Notes

6.1
Dominique Wolton, Internet, et après? Une théorie critique des nouveaux médias, Flammarion, 1999.
6.2
Philippe Breton, Le culte de l'Internet, une menace pour le lien social? La Découverte, 2000.
6.3
Philippe Breton, La Parole manipulée, La Découverte, 1997.
6.4
Philippe Breton, La Tribu informatique, Anne-Marie Métailié, 1990.
6.5
http://www.sjsu.edu/depts/anthropology/svcp/CossaP.htm.
6.6
Libération, 15 mars 1999.
6.7
Philippe Breton, L'Utopie de la communication, La Découverte, 1995.
6.8
http://www.uzine.net/article319.html.
6.9
Je traite surtout ici du courrier électronique, mais l'autoédition sur le Web ou l'apprentissage du débat par les forums de discussion sont eux aussi des vecteurs de changement.

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